Mémoire au Comité permanent des finances Consultations prébudgétaires de 2012
Le 12 août 2011

Présenté par

Stephen Waddell, directeur général, ACTRA National

Bill Skolnik, vice-président canadien de la FAM et chef de la direction de la FCM


À propos de l’ACTRA

L’ACTRA (Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists) est l’organisme national des artistes professionnels qui travaillent pour les médias de langue anglaise du Canada. L’ACTRA défend les intérêts de 22 000 membres, partout au Canada, qui constituent la base de la communauté hautement appréciée des artistes professionnels du spectacle du Canada.

La Fédération canadienne des musiciens (FCM) est la plus importante organisation de musiciens professionnels du Canada. Elle compte actuellement plus de 17 000 membres.

SOMMAIRE

Les industries culturelles du Canada jouent un rôle important dans la santé financière du pays. La contribution de la culture à notre économie s’élève à plus de 46 milliards de dollars et à plus de 640 000 emplois[1]. En tenant compte des effets directs et indirects ainsi que des retombées, les industries culturelles représentent 7,4 p. 100 du PIB canadien, soit le triple du secteur de l’assurance et le double de l’industrie forestière canadienne. De nombreuses industries comptent sur le soutien du gouvernement pour se développer et pour attirer des investissements privés. La culture ne se distingue pas des autres secteurs à cet égard.

L’ACTRA et la FCM sont conscientes du fait que le gouvernement est confronté à de nombreuses difficultés et pressions financières. Toutefois, la meilleure façon de se prémunir contre l’incertitude économique est d’investir dans des industries qui ont fait leurs preuves en matière de création d’emplois et d’encouragement de l’innovation. La culture est une telle industrie. Ce n’est pas du « superflu ». C’est une industrie de plein droit menée par des innovateurs et des entrepreneurs et fondée sur des ressources renouvelables.

Le contenu et ses créateurs sont au cœur de l’économie numérique. Les créateurs de contenu constituent, pour le gouvernement, une extraordinaire ressource sous-utilisée. Nous avons quelques-uns des cerveaux les plus divers, les plus éduqués et les plus créatifs du monde. Des jeux vidéo à la musique, de la télévision à l’art numérique expérimental, nous disposons des travailleurs spécialisés qui peuvent fournir des contenus comptant parmi les plus novateurs du monde. Or le monde recherche de plus en plus les produits de ce genre. Il y a une forte demande de contenu distinctement canadien de qualité, qu’aucun autre pays ne peut créer.

Pour profiter du plein potentiel économique de cette industrie dynamique, le gouvernement doit faire plusieurs investissements stratégiques : renforcer les encouragements fiscaux à la production de contenu pour susciter des investissements privés, mettre en place un régime fiscal équitable pour les créateurs et investir dans les institutions culturelles qui créent du contenu canadien.

L’ACTRA et la FCM ont trois recommandations précises à inclure dans le budget fédéral 2012 :

  1. Augmenter la valeur du crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne (CIPC) et du crédit d’impôt pour services de production cinématographique ou magnétoscopique (CISP), de façon à augmenter la capacité de production au Canada et, partant, les emplois bien rémunérés et les retombées pour les autres industries.
  2. Rendre les impôts plus équitables pour les créateurs autonomes en rétablissant l’étalement du revenu sur plusieurs années et en exonérant les recettes tirées de droits d’auteur et de paiements résiduels.
  3. Appuyer notre radiodiffuseur public en augmentant le financement à long terme de CBC/Radio-Canada.

QUELQUES PRÉCISIONS SUR NOS RECOMMANDATIONS

Recommandations 1 : Augmenter les encouragements fiscaux pour susciter des investissements privés

Il est essentiel d’étendre et de bonifier les crédits d’impôt actuellement accordés pour la création de contenu audiovisuel afin d’établir un plan durable d’économie numérique. Les crédits d’impôt à la production audiovisuelle constituent un moyen efficace de renforcer la compétitivité du Canada et d’attirer des investissements.

Nous recommandons au gouvernement de majorer le crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne (CIPC) et du crédit d’impôt pour services de production cinématographique ou magnétoscopique (CISP) : hausse de 25 à 35 p. 100 du CIPC conformément à la recommandation formulée dans le rapport de 2004 du Comité permanent des finances de la Chambre des communes et hausse de 16 à 26 p. 100 du CISP. Nous proposons en outre d’élargir les critères d’admissibilité de façon à inclure tous les coûts – y compris les coûts de postproduction, comme cela se fait en Ontario et au Québec – et pas seulement les coûts de main-d’œuvre liés à la production.

Enfin, nous recommandons que le gouvernement fédéral mette en place des crédits d’impôt axés sur la main-d’œuvre pour les médias numériques et interactifs, comme cela est le cas dans un certain nombre de provinces.

D’autres encouragements pourraient inciter les annonceurs à soutenir les sites Web canadiens qui présentent du contenu canadien. Il serait possible de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu pour accorder aux annonceurs des déductions fiscales à l’égard de la publicité passée sur des sites Web ou des services canadiens qui mettent en évidence le contenu numérique canadien, les autres services n’étant pas admissibles. Cette disposition serait fondée sur l’article 19.1 qui interdit les déductions liées aux annonces passées sur les stations de radiodiffusion frontalières américaines afin d’encourager les annonceurs à recourir plutôt aux radiodiffuseurs canadiens. Des déductions fiscales du même ordre existent dans le secteur des magazines et des journaux. Elles devraient être étendues à tous les médias.

Recommandation 2 : Rendre les impôts plus équitables pour les créateurs

Les travailleurs du secteur culturel doivent affronter de nombreux défis lorsqu’ils exploitent leur petite entreprise. Ainsi, les artistes du spectacle, les musiciens et les autres artistes qui travaillent à leur propre compte n’ont pas automatiquement un plein accès à des programmes tels que l’assurance-emploi et le Régime de pensions du Canada, au même titre que les employés à temps plein. Ils ont en outre affaire à un régime fiscal axé sur les salariés, qui ne tient pas compte des besoins particuliers des créateurs autonomes dont le revenu connaît d’énormes fluctuations d’une année à l’autre. Par exemple, un acteur qui décroche un rôle important dans une série télévisée peut avoir eu auparavant plusieurs années de vaches maigres parce qu’il était en formation, travaillait de façon intermittente, essayait infatigablement de se mettre en valeur et se présentait à d’innombrables auditions. De plus, si la série n’a pas le succès escompté, l’acteur peut connaître à nouveau des temps difficiles. Pourtant, dans son année de succès, il sera imposé comme si c’était son revenu annuel normal.

Pour remédier à cette injustice inhérente, de nombreuses administrations permettent aux artistes d’étaler leur revenu sur un certain nombre d’années aux fins de l’impôt. En 2004, le Québec a institué l’étalement du revenu pour les artistes du spectacle et autres artistes, ce qui leur permet de reporter l’impôt qu’ils doivent sur une partie de leur revenu. En Australie, l’Income Tax Assessment Act, 1997, autorise les artistes dont le revenu fluctue à payer l’impôt sur un revenu moyen calculé sur une période allant jusqu’à cinq ans[2]. L’UNESCO signale que l’étalement du revenu des professionnels de la culture est aussi appliqué en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, en Grèce, en France, au Royaume-Uni, au Luxembourg et ailleurs.

L’étalement du revenu n’est pas un nouveau concept au Canada. Pendant des dizaines d’années, la législation fiscale fédérale reconnaissait la nature variable du revenu des artistes et prévoyait donc l’étalement. Malheureusement, ces dispositions ont été abrogées en 1988. Il est temps de les rétablir. L’étalement du revenu permettrait aux entrepreneurs autonomes de mieux prévoir leur fardeau fiscal et d’acquitter un impôt équitable fondé sur leur capacité de payer.

L’ACTRA et la FCM recommandent également que le gouvernement accorde aux artistes professionnels une exemption de 15 000 $ sur les revenus tirés des droits d’auteur et de paiements résiduels. Cette mesure est déjà appliquée au Québec : si le revenu total d’un artiste est inférieur à 30 000 $, la première tranche de 15 000 $ des droits d’auteur est exonérée.

L’étalement du revenu et l’exemption des droits d’auteur et du revenu résiduel rendraient le régime fiscal plus juste et équitable, encourageant la créativité et la production d’œuvres culturelles de valeur.

Recommandation 3 : Investir dans la création de contenu

Le Fonds des médias du Canada (FMC), Téléfilm Canada, la Société Radio-Canada (SRC) et l’Office national du film (ONF) sont à l’avant-garde de la création, de la production et de la distribution de contenu canadien de qualité. Il est impératif de leur donner les ressources dont ils ont besoin pour s’épanouir, créer des emplois et faire du Canada un chef de file du contenu numérique.

La Société Radio-Canada

La SRC a été créée pour mettre la radio à la disposition de tous les Canadiens. Depuis, elle a joué un rôle de premier plan dans la production de contenu canadien pour la télévision. À mesure que nous avançons dans l’ère numérique, le radiodiffuseur public du Canada doit rester en tête du peloton en présentant au monde un contenu numérique original distinctement canadien. En fait, le site CBC.ca occupe déjà une place de choix dans l’univers numérique du pays. C’est invariablement le site d’information de langue anglaise le plus populaire au Canada, recevant 4,8 millions de visiteurs distincts par mois et diffusant en moyenne quelque 750 000 éléments d’information par semaine, dont 575 000 sous forme de clips vidéo et 175 000 sous forme de clips audio[3].

Une récente étude de Deloitte montre que chaque dollar investi dans la radiodiffusion publique suscite dans l’économie canadienne des activités d’une valeur de 4 $. C’est donc un bon investissement[4]. Malheureusement, le financement public par habitant de la SRC compte parmi les plus faibles de tous les pays industrialisés du monde : alors que la moyenne mondiale est de 80 $ par citoyen et par an, CBC/Radio-Canada n’obtient que 33 $. C’est pourquoi nous appuyons la recommandation faite en 2008 par le Comité permanent du patrimoine canadien, qui estimait que le financement annuel de CBC/Radio-Canada devait être accru de 7 $ par habitant pour atteindre un total de 40 $, afin de nous rapprocher des autres pays industrialisés.

Nous exhortons aussi le gouvernement à établir un contrat de sept ans entre le Parlement et CBC/Radio-Canada, pour définir les attentes et assurer un financement indexé sur l’inflation. Dans cette entente, le gouvernement devrait tenir compte de la recommandation du Comité du patrimoine canadien, qui souhaitait que le conseil d’administration de CBC/Radio-Canada soit nommé indépendamment de tout favoritisme politique et qu’il revienne au conseil, et non au premier ministre, d’embaucher ou de congédier le président de la Société. Une telle initiative donnerait à CBC/Radio-Canada plus d’autonomie et de responsabilité sur le plan financier.

Le Fonds des médias du Canada

Le Fonds des médias du Canada (FMC) a permis de financer plus de 4 400 heures de nouvelles émissions canadiennes dans la seule année 2009-2010[5]. Ces productions créent des milliers d’emplois directs et indirects dan des domaines très variés, notamment pour des artistes du spectacle et des musiciens professionnels, puisque les émissions comportent souvent de la musique enregistrée par des musiciens canadiens.

Nous félicitons le gouvernement d’avoir pris l’engagement, dans le budget 2011, de rendre permanent le financement du FMC. Nous avons également appris avec satisfaction qu’un rôle élargi a été confié au FMC pour qu’il finance les nouvelles plateformes numériques tout en maintenant son appui aux émissions classiques destinées à la télévision. Toutefois, nous craignons que, sans ressources supplémentaires, le FMC trouve difficile de s’acquitter de son mandat élargi. Nous exhortons donc le gouvernement à accroître son investissement dans cet important moyen de production de contenu canadien.

Téléfilm Canada

Tout comme le contenu télévisé traditionnel, l’ère numérique suscite de nouveaux modes de distribution et de présentation des longs métrages canadiens. Tandis qu’il a été difficile de faire passer nos longs métrages dans l’espace limité des salles de cinéma, la technologie numérique offre aujourd’hui des possibilités de distribution illimitées. Les auditoires du Canada et du monde veulent maintenant avoir accès à ces films par l’entremise d’autres canaux de distribution secondaires légaux. Nous devons faire en sorte qu’il existe des longs métrages canadiens de qualité pour répondre à cette demande.

Les investissements de Téléfilm Canada assurent la production de films canadiens en suscitant les investissements du secteur privé aussi bien chez nous qu’à l’étranger, ce qui intensifie l’activité économique et stimule la création d’emplois : chaque dollar investi par Téléfilm dans une production permet d’obtenir 2 $ de plus pour financer des projets de médias numériques et 3 $ pour des projets de longs métrages. Il faut non seulement que les films canadiens soient produits de façon à être distribués en ligne, mais aussi que des fonds soient disponibles pour tirer parti des possibilités de commercialisation offertes par les médias numériques et les réseaux sociaux. Le Fonds du long métrage du Canada (FLMC) arrive à expiration en 2011. Il doit être renouvelé et doté d’un financement à long terme accru, pour assurer la production de longs métrages canadiens à offrir en distribution numérique.

L’Office national du film

Depuis 70 ans, l’ONF crée toutes sortes de produits remarquables, documentaires, films d’animation, dramatiques, productions numériques et bien plus encore. L’ONF a réalisé plus de 13 000 productions et a reçu plus de 5 000 prix, dont 12 Oscars et plus de 90 Prix Génie. Malheureusement, l’ONF a subi des compressions répétées au cours des 15 dernières années. Malgré ces défis, l’Office a fait preuve de beaucoup d’innovation en adoptant de nouvelles technologies pour présenter des films et des projets multimédias numériques canadiens à un public mondial.

L’Espace de visionnage en ligne de l’ONF permet non seulement de sortir les films canadiens des entrepôts pour les présenter au monde, mais aussi de montrer de nouveaux contenus numériques passionnants. Il a déjà reçu plus de 5 millions de visites et a été largement louangé par la critique depuis son lancement en 2009. Ainsi, l’application de l’ONF pour l’iPhone – jugée l’une des meilleures de 2009 par iTunes Canada et désignée Best Use of Content (meilleure utilisation du contenu) en 2009 par TheAppleBlog – a été téléchargée plus de 235 000 fois et avait servi à 821 000 visionnements de films au 1er juin 2010.

Malgré ses ressources limitées, l’ONF est un chef de file lorsqu’il s’agit de produire du contenu innovateur et de le mettre à la disposition de la population canadienne et des publics mondiaux. En tant qu’innovateur reconnu dans le domaine numérique et que premier producteur et distributeur public de films au Canada, l’ONF mérite de recevoir le soutien gouvernemental dont il a besoin pour continuer à offrir des points de vue et des scénarios distinctement canadiens.

CONCLUSION

Pour réussir dans l’économie numérique d’aujourd’hui, il faut des politiques publiques conçues pour assurer aux produits et services culturels canadiens une place de choix à la télévision et à la radio, en ligne, dans nos salles de cinéma, sur nos scènes et dans nos galeries d’art et nos salles de concert. Le Canada peut être un chef de file mondial en production audiovisuelle. Avec les bons outils, les industries culturelles du Canada continueront d’être un moteur d’innovation et de croissance économique, de création d’emplois et de développement de nouvelles technologies. Nous exhortons le gouvernement à exploiter le plein potentiel économique de cette importante industrie en prévoyant un investissement à long terme dans le prochain budget et les suivants.



[1]Conference Board du Canada, Valoriser notre culture : Mesurer et comprendre l’économie créative du Canada, juillet 2008.

[2] Australie, Income Tax Assessment Act, 1997, chapitre 3, partie 3-45, division 405, p. 461-473.

[3] Grands succès. Défis grandissants, rapport annuel de CBC-Radio-Canada, 2008-2009.

[4] Deloitte, L’impact économique de CBC/Radio-Canada, juin 2011.

[5]Fonds des médias du Canada, Rapport annuel 2009-2010, novembre 2010.